Sylvie Brunel. © Crédit photo : Astrid di Crollalanza
Par Sylvie Brunel, écrivain et géographe, publié dans Sud-Ouest le 5/11/2022
Les paysans sont des taiseux. Lassé de les voir sans cesse critiqués et culpabilisés, au point que plus de 300 se suicident chaque année, l’un d’eux a décidé de prendre la plume. À 90 ans, Paul Aimon, qui vit à Niort, ne craint plus personne ! Il ne mâche pas ses mots sur cette époque qui a oublié le passé, lui que son maître envoyait avec toute la classe ramasser les doryphores dans les champs de pommes de terre, « sales bestioles qui nous tachaient copieusement les doigts, car les gants pour travailler n’existaient pas ».
Manutention harassante du fumier, dos cassé à défricher, étés si secs qu’on voyait mourir les bêtes, comme en 1976 quand le gouvernement taxa les Français d’un « impôt sécheresse » … Dans « Les paysans se taisent, l’un d’eux ose parler », il nous raconte tout, les hirondelles qui disparaissent, la progression du béton et des parkings, les lombrics dans les sols… Une vraie voix de paysan, qui parle d’expérience sur l’incroyable procès fait à ceux qui nous nourrissent, particulièrement dans cette Nouvelle-Aquitaine qui est pourtant la première région agricole d’Europe.
Si la mémoire nous fait défaut, pas celle de Paul Aimon. Hier, pas de réfrigérateurs dans les foyers, juste des saloirs et des garde-mangers. « Quand on entamait une terrine de pâté ou de rillettes, il fallait auparavant racler une couche verdâtre et moisie ; idem pour les confitures. Parfois, pour les fromages mis en réserve, on commençait par éliminer les asticots. Quand on mangeait une cuisson de haricots secs, il arrivait souvent que de petits vers blancs (larves de charançons) soient mélangés dans le légume : on éliminait ce qu’on pouvait en le mettant sur le bord de l’assiette. La plupart du temps, lorsqu’on croquait à belles dents une pomme ou une poire, on se trouvait nez à nez avec un ver de carpocapse. Quel consommateur accepterait aujourd’hui de trouver de tels fruits véreux à l’étalage ? » En 1950, l’espérance de vie française ne dépasse pas 65 ans, 82 aujourd’hui. Alors, voir dénoncer la « malbouffe » le fait sourire.
Qu’on ose accuser les paysans de voler l’eau est une aberration pour lui
Les actuelles guerres de l’eau, beaucoup moins. Qu’on ose accuser les paysans de la voler, qu’on se permette de saccager leurs réservoirs, dans cette Sèvre niortaise qu’il connaît depuis près d’un siècle, avec ses alternances de très basses eaux et de crues historiques, c’est une aberration pour lui. « L’eau passait par millions de m³ par jour pendant une semaine, parfois plus longtemps. Ces millions de m³ de bonne eau douce qui nous manquent tellement en période sèche étaient, trois jours plus tard, transformés en eau salée en arrivant dans l’océan qui, lui, n’en a pas besoin puisque son niveau monte, nous dit-on ! » La construction du barrage de la Touche Poupard, dont tous profitent aujourd’hui, serait désormais impossible. Comme d’ailleurs le Marais poitevin.
Parce qu’elles stockent l’eau quand elle abonde pour en disposer l’été, les retenues sont d’abord, pour Paul Aimon, des « nuages intelligents ». Et de renvoyer leurs accusations aux accusateurs : les véritables destructeurs de la nature ne seraient-ils pas plutôt ces nouvelles espèces invasives et proliférantes, parties des villes pour dévorer la beauté des campagnes en mordant la main qui les nourrit ? Qui transforme les bonnes terres en lotissements bétonnés, jalonnés d’innombrables piscines aseptisées ? Qui laisse la terre et les animaux périr de sécheresse l’été ? Qui loue le retour du loup et de l’ours, sans égard pour la souffrance des bêtes et de ceux qui les élèvent ? Autour des prétendues « bassines », la vie s’épanouit. Oiseaux, prairies, céréales dorées, vergers… comment oser parler d’agro-industrie ? Même le plus modeste maraîcher a besoin d’eau.
Portant la voix d’un monde rural méconnu et maltraité – qui subira demain l’instauration de ces zones si faussement qualifiées de « faible émission », déjà rebaptisées Zones de forte exclusion, et qui vont accentuer la césure avec les territoires ruraux –, Paul Aimon exhorte les siens à prendre la parole pour renvoyer les donneurs de leçons à leurs responsabilités. Pour vraiment connaître et aimer la nature, leur outil de travail en réalité, il n’y a que les paysans. Les respecter est le seul moyen de donner envie aux jeunes de s’installer, alors que la France perd chaque année un peu plus sa souveraineté alimentaire.
La lecture de ce petit livre roboratif et bien écrit, grâce à Hélène, sa femme – Paul est aujourd’hui presque aveugle – devrait être obligatoire à l’école… et dans certains médias.
Pour se procurer le livre : 06 30 32 98 08.